Espace sans toi
- Kateryna Derkach
- 8 févr. 2024
- 10 min de lecture
Ça fait 30 ans que tu es parti. Parti ou tu t'es tout simplement transformé ailleurs en autre chose. Qui sait.
Et pourtant, tu es resté si près et si profondément ancré ici, en plein milieu de toute existence.
Je ne pouvais pas te toucher, mais je pouvais ressentir ta présence. Je ne pouvais pas t'entendre ou te voir, mais je ressentais l'intensité de tes voyages au-delà dans le silence de mon propre cœur et la profondeur de mon corps à moi.
J'étais avec toi et tu étais avec moi. Et c'est toujours le cas maintenant, juste différemment.
...
Tu es parti parce que tu as perdu la foi dans la Vie. Tu ne savais plus comment aimer et comment être aimé dans ta Nature profonde à toi.
Tu avais l'impression qu'il n'y avait plus rien à faire ici. Tu n'avais plus d'espoir à la métamorphose ni à la guérison. Tu t'es perdu dans ta propre forêt d'ignorance et tu ne savais plus comment t'en sortir sans abandonner ton corps physique en chemin.
Tu as décidé de mourir.
Tout ça pour te rendre compte que tu ne peux pas échapper à l'évolution, à ta conscience et même à la Vie, même si tu as décidé de le faire dans une forme désincarnée ou dans d'autres plans d'existence.
Ton corps physique était malade après un accident assez grave à la con. Tu étais en coma pendant plusieurs semaines. Malgré les chances presque inexistantes, tu es revenu quand même et tu t'es relevé pareil. Tu étais assez fort. Du moins assez pour recommencer à vivre un peu, mais apparemment pas assez pour réapprendre à jouir de la vie comme tu pouvais le faire avant.
Tu ne savais pas comment rester courageux et dans ta puissance intérieure dans un corps affaibli et qui avait un mal profond à cause de ton propre inconscience et ignorance.
Ta souffrance silencieuse ne pouvait plus être contenue dans ton Être profond. Tu n'avais aucune idée comment l'exprimer autrement qu'en détruisant ton corps physique encore plus.
Parce que tu n'avais aucune idée comment le guérir dans un environnement encore plus inconscient et effrayé que toi.
Tu n'avais aucune idée comment recréer une vie épanouie dans un corps qui ne t'écoutait plus comme avant. Comment devenir autre chose que tu savais déjà être.
Comment suivre tes rêves et tes propres désirs au-delà des exigences insensées des gens que tu aimais.
Savoir mettre ton plaisir et ta joie avant les peurs et les insécurités des autres qui comptaient sur toi, sur ton rétablissement rapide et sur ta transformation intérieure radicale.
....
Ça fait 30 ans et ça fait encore mal.
En toute transparence et à ma déception de moi-même, ce que je réalise en ce moment est: une partie de moi t'en veut encore de mourir si tôt.
Je pensais que j'étais en paix, je croyais t'avoir laissé partir pour de vrai et partout. J'avais la foi d'être sincère dans ma croyance d'avoir intégré mon dieu complètement.
J'ai pensé que le fait que tu m'as montré l'immortalité et m'a ouvert les horizons à l'impossible dans les mondes de l'au-delà, ça me ferait comprendre mieux, te pardonner et d'accepter ton départ.
Mais apparemment, il y a encore des résidus d'amertume dans les profondeurs de mon être que je n'ai peut-être pas encore fini d'intégrer convenablement. Je ne pouvais pas t'en vouloir avant tellement je t'aimais et tellement c'était douloureux de te ressentir dans ta souffrance profonde dans mon petit corps d'enfant si ouvert et si connecté à toi.
Ça ne pouvait pas être de ta faute. Je ne croyais pas non plus que c'était la faute de qui que ce soit.
Mais le conditionnement social dicte qu'il faut trouver le coupable. Il faut trouver quelqu'un à blâmer pour nos pertes et nos souffrances. Apparemment, ça fait moins mal. Je ne suis vraiment pas certaine de ça, mais certains semblent en être très convaincus.
Donc, j'en voulais à la vie entière à la place. À ma mère. À sa famille. À ta job. Aux médecins. À la société. Et même à Dieu lui-même.
Je cherchais des coupables aussi.
J'avais besoin de trouver une façon pour me justifier ton départ pour en avoir un peu moins mal finalement.
Mais soyons honnêtes. En réalité, tu as créé ta propre mort. Tu es parti de façon "naturelle" avec une crise cardiaque qui venait de nulle part.
Oui, ah bon. Mon œil. Tu connaissais très bien ce "nulle part" déjà et d'où ça venait aussi.
C'est la "mort" elle-même qui t'as pris dans ses bras. C'était ton temps, ton destin, ou je ne sais pas quelles autres conneries on nous faisait croire pour apaiser artificiellement notre deuil suite à ton départ.
Mais tu le sais aussi bien que moi qu'au niveau de ta conscience tu le savais déjà et bien avant qu'elle vienne te prendre dans ses bras.
C'est toi qui l'as appelé. Tu as demandé qu'elle te transforme. Tu as offert ton corps physique à la mort de ta propre volonté.
Même si je ne comprends pas tout, j'ai appris à accepter et à faire confiance aux choses que je ne comprends pas forcément tout de suite.
Je sais que cette décision était juste pour toi et j'ai la foi totale que ton départ était nécessaire pour ton propre évolution et ta transformation. Mais c'est aussi important de nommer les choses telles qu'elles le sont pour de vrai.
Tu as décidé de partir tout seul. C'était ton choix. Tu n'étais pas une victime de tes circonstances. Tu étais juste fatigué de te battre et tu pensais que tu serais plus "utile" dans l'invisible que dans le visible et dans ton corps parmi nous. Tu pensais que tu pouvais mieux supporter les gens que tu aimes en Esprit à partir de la Source qu'en chair et en os ici avec nous, avec moi et sur la Terre.
Et tu avais peut-être raison. Ou peut-être pas. Je n'en sais rien. Mais aujourd'hui je peux reconnaître la sagesse et l'intelligence de ta stratégie d'évolution dans le temps. Je vois comment tu es arrivé à une telle conclusion.
Je sais ce que c'est de faire face à ce genre de décision et choix assez difficile. Je sais ce que c'est d'avoir la mort au téléphone et d'essayer de négocier avec une meilleure vie.
Je sais comment parfois la mort peut sembler plus accueillante et même plus bienveillante que la vie.
Je sais comment le froid perçant de l'inexistence solitaire semble plus sécuritaire que le chaud de notre propre feu qui nous brûle de l'intérieur pour nous forcer à suivre nos désirs les plus profonds.
Je vois comment c'est plus simple d'aimer à distance, à partir de la source, dans l'invisible que de le faire dans l'inconfort de l'inconscience des êtres incarnés dans la forme, dans la matière, dans la densité et dans la Nature elle-même.
Tu n'étais pas ici pour te battre ou pour faire la guerre. Tout le monde savait ça. Personne ne te demandait de le faire non plus.
Tu n'avais rien à prouver à personne. Tu t'en foutais du statut, de l'argent, de la reconnaissance ou peu importe quoi d'autre. Tu étais indifférent au chaos extérieur qui n'avait rien de vrai ou juste pour toi. Parce que tu voyais la Beauté d'être tout simplement nous-mêmes et intimement interdépendant avec notre communauté, l'Humanité et la Nature.
Tu étais ici pour aimer, pour être connecté aux autres, pour créer avec ton cœur, pour vivre dans la joie, le plaisir et la simplicité du moment présent.
Mais tu étais dans un milieu et avec les gens qui ont préféré avoir peur et de se battre les uns avec les autres pour aucune raison à la place de s'aimer et créer encore plus d'amour ensemble. Ta société à toi voulait assurer leur survie dans un contexte d'évolution complètement brimé, déboussolé et traumatisé par leur propre histoire incompréhensible et très douloureuse.
Tout le monde était un peu perdu pendant cette époque dans le pays où tu étais. C'est normal et humain. Mais tu étais un peu différent de la masse globale de ton entourage. Tu étais trop simple. Tu étais trop profond. Tu n'étais pas à la bonne place et au bon moment on dirait.
Tu n'étais pas compris. On voulait de toi autre chose de ce que tu étais déjà.
Ton cadeau divin et son essence étaient l'Espace, la Présence et l'Amour Inconditionnel. Mais on voulait de toi la Force, le Pouvoir, l'Autorité et le Courage.
Ma mère a projeté sur toi ce qu'elle n'était pas capable de reconnaître en elle-même. Elle t'a fait croire que tes cadeaux n'étaient pas assez et que tu dois maîtriser les siens aussi pour être digne de son amour et sa douceur ultime.
Elle n'a pas compris que ta Force à toi était ta Présence tout simplement. Que ton Pouvoir intérieur était l'Espace infini et que ton Courage à toi était ton Amour Inconditionnel pour toute la Vie dans son ensemble et non pas juste pour elle.
Elle voulait que tu l'aimes différemment. Elle voulait que tu l'aimes plus que ta propre Nature à toi.
Tu n'as pas su comment lui donner ça autrement qu'en faisant le pacte avec la mort et en abandonnant ton corps physique pour de bon. Tu pensais peut-être pouvoir lui donner plus facilement ce qu'elle voulait à partir de l'au-delà que dans la lourdeur de ta carapace humaine.
Tu pensais peut-être devenir un meilleur Père pour nous là-bas que tu l'étais quand tu jouais le rôle de notre papa parfaitement imparfait ici.
Je n'ai aucune idée de ce que tu pensais ou pas, mais la question qui émerge pour moi aujourd'hui : as-tu réussi finalement d'obtenir ce que tu voulais pour de vrai?
As-tu réussi au final d'être aimé et d'aimer comme tu le souhaitais vraiment?
...
Fuck you mon cher Papa d'amour.
Ça fait étrangement du bien de le nommer enfin. C'est intéressant pour moi comme découverte. Je ne croyais jamais que je le ferais un jour ou même que je ressentirais un truc pareil à l'intérieur de moi. Je ne pensais jamais te dire ça. Mais bon, on y est apparemment.
J'ai souvent envoyé chier ma mère et j'ai projeté sur elle les quantités incroyables de la pure rage que mon enfant intérieur a emmagasinée dans son système suite à ta mort.
Certaines choses avaient besoin d'être dites. Certaines choses lui appartiennent et elle doit prendre son propre courage en main pour y faire face. Elle est assez capable de le faire. Tu le sais aussi bien que moi.
Elle le fait déjà aussi. Elle marche son chemin la tête haute comme d'habitude, avec le cœur fragile mais si courageux et rayonnant en même temps.
Sa Force à elle est la Résilience. Son Pouvoir est sa Souveraineté. Son Amour Inconditionnel est son Courage, sa Liberté et sa Détermination démesurée.
Elle aussi aime un peu différemment. Différemment, mais très profondément aussi.
Elle t'a peut-être pas compris totalement et elle n'a pas su s'ouvrir d'avantage à la fréquence de ta sagesse et ton amour divin à toi. Elle était peut-être trop fière ou orgueilleuse pour voir ta lumière authentique et tes couleurs uniques.
Ou bien elle était trop blessée et traumatisée elle-même pour te ressentir dans la profondeur que tu aurais aimé d'être ressenti par elle.
Mais, toi?
As-tu réussi de la voir pour ce qu'elle est vraiment? As-tu su t'inspirer d'elle pour apprendre le courage et l'audace pour rester ici peu importe quoi, pour s'enraciner dans ton corps physique peu importe sa condition dans le moment. Et d'avoir la force et la volonté de te transformer peu importe la douleur intérieure et les circonstances extérieures comme elle en était capable?
As-tu su reconnaître et accueillir la vérité de ta propre force et pouvoir intérieur derrière sa rigidité et sa froideur apparente?
As-tu compris que de rester ici est quand même plus utile, agréable et même courageux que de devenir l'Espace infini dans le Partout et pour l'éternité juste pour fuir l'inconfort du moment présent.
Tu peux être et faire ce que tu veux dans l'invisible, sauf de pouvoir être réellement avec nous ici et maintenant.
...
De ne pas te connaître dans ton corps physique davantage, pouvoir te serrer dans mes bras un peu plus, jouer une partie d'échecs avec toi avec une bière, rire ou pleurer pour aucune raison ensemble. De n'avoir jamais eu la chance de vivre tout ça avec toi me fait mal et ça me fait encore chier aujourd'hui.
Même si je sais que tu es toujours là, encore plus qu'avant même, car je peux ressentir ton essence, ta présence, ton amour dans littéralement chacun des atomes et particules de cette réalité complètement absurde et pareillement magnifique.
Mais tu n'es plus là pour le vivre avec tes sens, ton corps et partager pleinement cette expérience de réalité physique avec moi, avec nous et avec tes petit-enfants.
Je sais que c'est un peu ridicule et potentiellement très immature, mais, il y a une partie de moi qui t'en veut encore un peu d'avoir décidé de jouer ce jeu d'existence à l'extérieur du corps qui était mon papa à moi.
Pour toi ce n'était qu'un costume et une pièce de théâtre pas trop drôle.
Pour moi le corps que tu as quitté était la seule chose qui faisait du sens et que j'en avais vraiment besoin dans ma réalité d'enfant pour ne pas trop me perdre.
...
Finalement, le Père n'a jamais pu jouer ton vrai rôle de papa que j'en avais besoin.
Même si le tout n'est qu'une illusion. Même si ce n'est pas vraiment comme ça que ça marche. Même si, il y a tellement de choses que j'ignore encore. Ma gratitude infinie pour ce que tu m'as offert dans toutes les autres plans et espaces d'existences depuis que tu es parti est sincère et profonde, mais possède quand même un petit goût d'amertume pour moi.
Je me sens en contradiction profonde sur ce qui est juste ou non. Gentille ou pas. Aligné ou corrompu. Parfois même ça m'arrive de confondre ce que la vie et la mort signifient vraiment.
Et, j'avais besoin de te le nommer.
Même si tu es partout et en tout temps, je sais que tu ne peux pas m'aider à digérer et intégrer ce genre de contradiction dans ma conscience. Tu ne peux pas me sauver. Tu ne peux pas me libérer de moi-même.
Je ne peux que le faire seule. Je ne peux le faire ailleurs que dans mon propre corps physique qui est probablement le plus beau cadeau que tu m'a offert en me co-créant avec ma mère avec autant d'amour et de plaisir.
Je veux apprendre à prendre soin de mon corps un peu mieux que tu en étais capable de faire pour le tien. J'aimerais ça, même si je ne suis pas encore totalement certaine comment je vais faire pour y arriver. Je ne veux plus souffrir, mais je ne veux pas non plus appeler la mort à mon secours pour tenter de fuir le malaise existentiel de mon propre évolution.
Je ne veux pas me perdre dans mes addictions, mes confusions et mes histoires pour apaiser ma souffrance émotionnelle. Je ne veux pas de facilité et confort juste parce que je suis trop lâche pour nommer ma vérité profonde telle qu'elle est. Je ne veux pas avoir peur de ne pas être assez. Ou d'être beaucoup trop. Je veux juste être qui je suis tout simplement.
Pas comme toi, partout et tout le temps simultanément, mais pleinement incarné dans l'ici et maintenant et tout ça profondément dans mon propre corps physique et ma Nature unique à moi.
Avec les gens que j'aime et non pas en me sacrifiant pour eux.
...
Merci de me faire confiance d'y arriver un jour. Merci d'être là si près et toujours. Merci pour ton support et ta connexion.
Merci pour l'Espace. Merci pour la Lumière.
Merci pour la Vie. Merci pour la Foi. Merci pour l'Amour.
Je t'aime Papa.
