L'entêtement est aussi un concept qui semble occuper une place très spéciale dans mon système interne. Être entêtée est l'une des caractéristiques qui semblent être associées à mon 'rôle' beaucoup trop souvent. On m'a qualifié de "trop têtue" avant même que je puisse parler ou marcher. Et apparemment, cela n'a jamais changé. Mes pairs semblent voir mon entêtement comme une source de déséquilibres dans mon mycélium relationnel et, en fin de compte, mon incapacité à être aimé ou parfois même à me faire totalement confiance par les gens autour de moi.
Et à chaque fois, cela déclenche quelque chose de très profond à l’intérieur de moi. C'est un ‘fond’ très spécial dans mon système. Mon entêtement est un mécanisme hautement protégé. En fait, j'aime profondément et j'honore mon entêtement. Lorsque quelqu'un me traite de "trop têtue", j'ai tendance à devenir encore plus entêtée, et parfois je pourrais me dissocier complètement ou potentiellement je pourrais même devenir très en colère et un peu folle.
En bref, mon système nerveux est activé directement par l'utilisation de ce mot. Chaque fois, c'est une réaction différente, mais l'intensité de mon énergie personnelle dans ces moments-là est toujours au rendez-vous.
Être entêté est très rarement vu comme quelque chose de positif. Habituellement, lorsque les gens utilisent ce mot pour décrire quelqu'un, il est empreint de beaucoup de honte et de jugement. Dans les cultures dans lesquelles j'ai grandi et vécu, la qualité énergétique attachée à ce concept est principalement polarisée vers son côté obscur et considérée comme très "basse fréquence". Nous méprisons cette caractéristique de caractère. Nous n'aimons pas sa rigidité. Nous craignons l'incapacité de changer ou d'évoluer en raison des limitations que l'entêtement impose à nos relations les uns avec les autres et avec le monde.
Parfois, nous associons également l'entêtement à l'ego. Nous utilisons un "gros ego" comme un synonyme de ce concept. Ce qui ajoute énormément à sa réputation déjà peu sexy. Et, c'est aussi confus et injuste, car l'entêtement n'a rien à voir avec l'ego. La fierté et l’arrogance sont les outils et les qualités de l'ego, pas l'entêtement.
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Et aussi, je suis profondément perplexe à ce sujet. Je considère l'entêtement comme l'un de mes principaux super pouvoirs. Même, si je suis très consciente de son ‘darkside’ assez intense aussi.
L'entêtement m'a permis de m'accrocher à ce qui est important et vrai pour moi, peu importe la folie, l'ignorance et les punitions que j'ai reçues de l'extérieur à cause de cela. Être têtue m'a sauvé ma vie plus d'une fois. Ça a fait de moi ce que je suis. C'est étroitement lié à mon courage et même à ma volonté. Comme rien d'autre, c'est ça qui a forgé mon sens de la résilience et aussi de ma vulnérabilité si sensible.
J'ai pris des risques fous grâce à mon entêtement. J'ai également échoué de manière spectaculaire plusieurs fois. J'ai aussi réussi dans les espaces les plus inattendus avec les stratégies les plus improbables. Je me suis réinventé plusieurs fois. J'ai découvert plus de ce qui est possible. J'ai trouvé la foi. Je me suis trouvée. Je suis devenue plus intime avec moi-même et le monde grâce à mon entêtement.
Donc, lorsque les autres essaient de me faire honte de cette partie de moi, je me réveille. Je suis activée, et je peux même perdre mon sang-froid. Mes protecteurs intérieurs prennent très au sérieux les attaques contre mon entêtement si beau et si fragile.
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Le paradoxe de l'entêtement est assez intéressant. Beaucoup décriraient l'entêté comme quelqu'un qui manque de flexibilité et d'ouverture. Et ils ont partiellement raison. Mais est-ce vraiment toute la vérité sur ce concept ?
Est-il possible que d'une certaine manière, l'ouverture d'esprit danse parfois en duo avec l'entêtement ? Est-il possible que pour intégrer la sagesse profonde de ce concept, nous devions nous ouvrir à la possibilité qu'il y ait aussi "l'autre côté" de l'entêtement ?
Rien n'est noir ou blanc. Tout est juste de l'énergie ; tout dépend de comment vous l'utilisez et pourquoi. Vous avez accès à toutes les couleurs et à toutes les textures de chaque fréquence. Mais parfois, certaines énergies peuvent produire des choses contre-intuitives et avoir des résultats très étranges.
Rien n'est bon ou mauvais. Rien n'est aussi simple. Tout est interconnecté de manière très mystérieuse, mais très logique.
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Lorsque j'étais gestionnaire et que j'étais formée pour le rôle de PDG d'un réseau d'innovation, j'ai eu l'occasion de participer à toute une série très sérieuse de tests, d'évaluations et d'études super sophistiquées sur ma personnalité, mes capacités et mes ressources intérieures les plus puissantes. L'une des principales constantes de mes graphiques était toujours ma capacité d'un très haut niveau de flexibilité, d'adaptabilité et d'ouverture d'esprit. Cela semblait aussi être l'un des principaux avantages pour justifier ma créativité impressionnante dans tous les types de résolution de problèmes aussi complexes que bizarres.
La relation profonde que je ressentais avec tout cela et mon entêtement inné était étonnante. En fait, j'étais bonne avec l'innovation et la créativité spécifiquement parce que je suis entêtée à en mourir.
Après avoir contemplé cela pendant quelques années, je navigue toujours dans la profondeur et les subtilités de ce concept. Pour moi, c'est fascinant et très riche en tant que voyage. C'est pourquoi cela me rend triste et en colère lorsque les gens simplifient tout et utilisent leur jugement pauvre et corrompu pour décider ce qui devrait être honteux et ce qui devrait être mis en valeur.
Rien ne devrait être considéré comme bon ou mauvais. Tout est relatif et contextuel. Tous et toutes ont le potentiel d'être les deux en même temps. Et tout est déjà les deux, le bon et le mauvais. Donc, le jugement est inutile. Parce que cela vous fait voir seulement la moitié de l'image. Vous êtes à moitié aveugle chaque fois que vous choisissez entre noir ou blanc, bon ou mauvais, fermé ou ouvert, désirable ou réprimé, etc.
Pour voir les vraies couleurs de notre réalité, le bien et le mal doivent être vus comme un tout intégré. Système cohérent, résilient et harmonieusement interconnecté.
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Si vous ne voyez pas le paradoxe de quelque chose et que vous n'honorez pas complètement sa nature polaire et double, vous ne le comprenez pas vraiment complètement.
Chaque concept est un outil. C'est un processus. Chaque processus transforme quelque chose en quelque chose d'autre. Tout dépend de ce que nous alimentons le processus avec, de son architecture structurelle et de la dynamique de l'environnement où se déroule ce processus. Certaines choses fonctionnent et d'autres non. Certaines produisent des résultats que nous apprécions, d'autres nous font souffrir. Mais, en aucun cas, nous ne pouvons juger ce qui est bon ou mauvais et appliquer cette vérité et cette logique à tous les autres contextes et situations.
La seule façon de savoir comment cela fonctionne vraiment et de le maîtriser de manière appropriée est de l'essayer plusieurs fois dans différents environnements et d'observer de manière holistique les résultats qu'il produit pour nous et pour notre communauté locale. Chaque lieu, chaque être et chaque situation sont uniques. Rien ne marche pareil dans deux espaces différents ou avec deux personnes pas pareilles.
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Lorsque j'ai essayé de me connecter plus profondément avec la fréquence du mot 'entêtement', ce qui est devenu très amusant pour moi, c'est d'essayer de déconstruire le mot et de ressentir tout simplement à l'intérieur de moi comment il est lié au reste de ma conscience. Et j’ai fait ça dans toutes les langues que je connais.
En anglais, un des mots pour dire têtu est ‘stubborn’. La première chose que j'ai vue, ce sont ses 2 parties de ce mot : 'stub' et ’born’. Un ‘stab’ peut faire référence à une partie courte restante de quelque chose qui a été cassée ou enlevée. Par exemple, un ‘stab’ d'un crayon peut rester lorsqu'il a été taillé. Donc, un ‘stub’ est une sorte de restant de quelque chose. Et ‘born’ en anglais veut dire ‘né’.
Hm, alors, têtu, est un ‘restant’ qui est né. Oh que ça c'est intéressant.
Ainsi, dans le langage "scientifique", un têtu est une partie du fractal qui a été cassée, enlevée ou déconnectée d'une manière ou d'une autre du tout et de l’ensemble. (Mais, pas détruit, puisque rien n'est réellement détruit de toute façon.)
Lorsque l'exemple est un restant de crayon, pas beaucoup de personnes peuvent s'imaginer comment créer un nouveau crayon à partir du ‘têtu’. Pas encore en tout cas. Mais quand un ‘stab’ est quelque chose de vivant, c'est assez évident et logique.
Lorsque vous travaillez votre jardin et que vous retirez les "mauvaises" herbes, elles repousseront probablement encore plus fortes et plus résilientes. Les nouveau-nés des ‘têtus’ restant profondément dans le sol seront plus évolués, plus créatifs et plus puissants que leurs prédécesseurs.
Dans tous les systèmes naturels, les ‘têtus’ renaîtront. Et ce dans toute leur gloire.
Je suppose donc que l'entêtement de la Nature est ce qui crée l'abondance réelle et régénère à peu près tout et n’importe quoi. Si la Nature n'était pas entêtée, nous ne saurions jamais ce qu'est la Vie, comment la créer et comment évoluer ensemble en cohérence et avec plaisir.
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Cet exemple de l'entêtement dans la Nature me fait penser à mes grands-mères.
Mes deux grands-mères vivaient dans de petites communautés proches d'une forêt ancestrale et se nourrissaient principalement des ressources de leur terre et de leur petite fermette familiale. Mais elles vivaient dans des villages différents et avec des philosophies très différentes aussi sur la façon dont elles co-créaient avec la Nature et avec la communauté leur réalité partagée.
L'une d'elles était axée sur la perfection et le dur travail pour y parvenir. Il s'agissait d'être au service pour les autres, du respect et de l’honneur. Il fallait faire ce qui est juste et ce qui assurera notre place et notre autorité dans la société. C’était notre devoir citoyen et la source de notre pouvoir humain.
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Dans ce village, tous les membres de la famille étaient invités à venir aider à la ferme et dans les champs pour nettoyer les mauvaises herbes chaque week-end pendant tout l'été. C'était horrible et épuisant. Une fois que nous avions fini de nettoyer toutes les zones, nous devions recommencer, car les ‘têtus’ mauvais herbés avaient fait pousser une nouvelle forêt autour de nos légumes. Nous travaillions la terre sous le soleil brûlant pendant 10 à 14 heures par jour, tous les jours, avec presque pas de pauses.
Quand j'avais environ 5-6 ans, mon grand-père nous payait pour aller chercher les doryphores sur les plantes de pomme de terre en croissance. Il payait en bouteille de bibittes vivantes collectées. Donc, une partie de mes étés consistait littéralement à marcher dans les champs de pommes de terre interminables et à collecter des doryphores avec mes mains nues comme si elles étaient des baies. Mais ils bougeaient et ils n’avaient pas l’air d’aimer ce que je faisais. Je détestais ça. C'était dégoûtant et ennuyeux. Et ça n'avait littéralement aucun sens pour moi en tant que stratégie. Mais bon, mon grand-père était très convaincant à ce sujet et je suppose que j'ai aussi été corrompu par la partie argent qu’il m’avait offerte pour cela.
Après il mettait tous les doryphores sur l’asphalte en plein milieu du chemin collectif et il les mettait en feu avec une grande fierté. Les pauvres doryphores essayaient de s’enfuir de tous les côtés aussi vite qu’ils pouvaient, mais la pelle déterminée de mon grand-père les faisait toujours revenir vers le centre du feu brûlant en plein milieu du chemin central.
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Lorsque j'étais dans cette communauté, j'ai compris pourquoi certaines personnes croyaient que cultiver notre propre nourriture et vivre plus proche de la Nature était un travail très difficile et très ennuyeux, voire violent. Pourquoi déménager en ville et obtenir une éducation appropriée avait plus de sens. Parce que les gens travaillaient littéralement comme des chevaux dans les champs et en guerre sans fin contre les mauvaises herbes et les doryphores.
C'est pourquoi l'industrialisation, la production de masse, les pesticides, les tracteurs, les OGM et autres sont devenus très populaires, et ce très rapidement. C'est aussi pourquoi la plupart ont quitté les villages pour construire une carrière de bureau dans le bâtiment de la capitale au 20e étage. C'est ainsi que l'Ukraine est devenue un pays de villages morts et de sols détruits en moins de 50 ans.
Parce que les gens en avaient marre de travailler la terre si durement et d'une manière qui n'avait pas de sens pour pouvoir survivre.
Et, en l'expérimentant de première main, cela a beaucoup de sens pour moi. Au moins, dans ce village, cela en a.
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Mon autre grand-mère avait une philosophie très différente concernant sa relation avec son jardin, les animaux, la communauté et la forêt.
Elle ne retirait presque jamais les mauvaises herbes de son jardin. Elle ne se souciait pas des insectes. Elle disait, si la mauvaise herbe est plus persistante et puissante que ses pommes de terre, cela signifierait que ses pommes de terre ne sont pas très heureuses et aimées.
Elle "travaillait" seulement deux fois par an sur le champ. Au printemps, lorsqu'il était temps de planter des choses et à l'automne pour récolter les aliments restants sur le sol avant l'hiver.
Le reste du temps, elle visitait sa terre quand elle le sentait ; il n'y avait pas d'horaire particulier pour cela. Elle ressentait juste à l'intérieur quand elle devait aller se promener et méditer dans les jardins. Elle parlait à ses plantes et contemplait les cycles de vie et de croissance de sa terre comme si c'était déjà un tout cohérent. Rien n'était considéré comme bon ou mauvais. Certaines plantes étaient des aliments pour nous et les mauvaises herbes étaient nécessaires pour le reste de l'écosystème pour avoir un sens, être plus cohérent et résilient.
Elle mettait son énergie et son intention pure sur ce qu'elle voulait réellement et non sur ce qu'elle jugeait être imparfait ou "mauvais" dans son jardin. Elle chantait à ses pommes de terre son amour et sa prière au lieu de déchirer violemment l'écosystème et de tout enlever ce qui avait poussé naturellement autour d'elles.
Elle n'a pas déclaré une guerre sans fin aux mauvaises herbes et aux insectes ; elle donnait simplement plus d'amour et de soins à ses légumes et à la terre.
Lorsque je passais du temps dans ce village, la réalité de la vie proche de la Nature avait un goût très différent. Nous ne travaillions en fait jamais vraiment et nous ne souffrions pas non plus là-bas.
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Quand nous nous réveillions, nous ouvrions toutes les portes des bâtiments et allions jouer dehors.
Chaque jour était un nouveau jour et l'inspiration pour ce qui se passait était toujours dans le moment présent et dans le chuchotement silencieux de notre voix intérieure aussi personnelle que collective. Nos journées tournaient autour de la pure simplicité et du plaisir. Nous allions au lac pour nager le matin. Après, nous courions pieds nus dans la forêt pour manger des bluets et des framboises juteuses pour le petit déjeuner.
Nous montions à cheval pour nous amuser, chantions des chansons toute la journée. Nous allions au jardin cueillir des aliments frais pour la fête du dîner partagé. Finalement, nous allions au club social, le point de rencontre de la communauté pour danser le reste de nos énergies pendant une bonne partie de la nuit avant d'aller dormir.
Et, c'était à peu près la vie que nous vivions là-bas au quotidien.
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Les animaux aussi étaient libres d'aller n'importe où que leur cœur les appeler. Autour de la maison, dans la forêt, ou n'importe où ailleurs où ils désiraient. Ils étaient libres exactement de la même manière que nous étions tous libres et souverains : les enfants, les adultes, les vieux et même les malades ou ceux qui se sont un peu perdus sur leur chemin d'évolution personnel. Parfois, nos vaches se risquaient à tester l'herbe dans les champs du voisin. Mais, ce n'était pas vraiment un problème. Comme tous les animaux de la communauté avaient la liberté de le faire et d'être complètement sauvages et curieux à l'extérieur, cela ne semblait jamais être un problème ou un sujet de conflit entre les gens.
Généralement, les animaux venaient d'eux-mêmes au refuge à côté de la maison avant le coucher du soleil, donc personne ne se souciait vraiment où ils étaient et ce qu'ils faisaient ou mangeaient pendant la journée. Ils avaient leur vie et nous avions la nôtre. Personne n'avait peur de perdre ou de se faire voler leurs animaux non plus. Personne n'avait peur de ne pas avoir assez de leurs jardins abondants, donc tout le monde était heureux de partager leur nourriture même avec les animaux appartenant à leurs voisins. Et, même avec leurs "ennemis" parfois.
Le concept de "travail" était également très discutable dans ce village.
La frontière entre "travailler" et "jouer" était presque inexistante. Lorsque quelqu'un travaillait dur, cela signifiait généralement que quelque chose n'était pas normal ou pas cohérent dans le système. C'était un moment pour faire une pause, se détendre et aller dormir au lieu d'essayer de réparer quelque chose. Parce que pour eux, avoir besoin de souffrir et de travailler dur pour avoir une vie abondante et belle n'avait littéralement aucun bon sens.
Ils n'étaient pas juste une partie de la forêt, ils étaient la Forêt.
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Lorsque je passais mes étés dans ce village, je ne comprenais honnêtement jamais pourquoi tout le monde ne vivait pas dans la Forêt et ne passait pas du bon temps ensemble en permanence. Cela n'avait aucun sens pour moi de compliquer les choses dans la mesure où nous les vivions ailleurs. La vie était simple, joyeuse, significative et profondément interconnectée avec la Nature et la communauté.
Le dur labeur, le service et le travail étaient une illusion pas trop drôle finalement. L'abondance et le bonheur systémique étaient un état normal d'être et de vivre en cohérence avec la terre et avec l'humanité. Pourquoi compliquons-nous tant les choses ?
Peut-être parce qu'il est naturel pour nous d'évoluer vers quelque chose de plus complexe, plus grand, plus glorieux et plus excitant ?
Probablement, mais complexe et compliqué ne sont pas la même chose. Compliqué est épuisant, stressant et ennuyeux. Cela n'a pas de sens et ce n'est en fait pas du tout efficace ou résilient. Complexe est excitant et amusant. Complexe est cohérent avec la façon dont la Nature fonctionne et génère plus d'abondances et de sagesse. Complexe régénère et harmonise tout le système et l'écosystème. Le compliqué nous rend confus, frustrés et complètement déconnectés de la réalité.
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Même si la majorité de mes étés jusqu'à l'âge de 14 ans j'ai passé dans l'un ou l'autre village. Pendant l'année, je vivais et allais à l'école en ville. Ce que j'aimais aussi très profondément et appréciais beaucoup à ma propre manière. Mais, les distorsions et nuances entre toutes ces expériences étaient en fait très difficiles à traiter pour mon cerveau d'enfant, même si je me suis quand même pas mal amusé dans toute cette diversité de vécu.
Cela étant dit, il m'a fallu presque 30 ans pour essayer de comprendre pourquoi ces espaces sont si différents et c'est quoi qui façonne les systèmes de croyances de chaque tribu et chaque communauté. Quelles sont les racines et les semences de telles expériences ? De mes expériences ? Et, de ceux et celles qui étaient là avant moi.
Mes deux grands-mères vivaient dans des villages qui étaient seulement à 75 kilomètres l'un de l'autre. Selon les normes d'aujourd'hui, ce n’est presque rien. Mais la différence dans l'expérience que j'ai eue dans ces deux endroits était radicalement et tellement profondément différente.
Comment est-ce même possible ?
Je n'ai jamais su comment répondre à cette question. Même si j'ai vraiment essayé, et pendant très longtemps même. J'ai même tenté de co-créer un écovillage au Québec pendant quelques années dans l'espoir de comprendre les mécanismes de ce fonctionnement et le mystère de ce questionnement. Comment créer un espace où le bonheur et l'abondance sont juste une manière normale d'être et de vivre ensemble.
Sans surprise, mon idée d'écovillage a échoué, mais les questions, les ressentis et les souvenirs sont restés très vivants en moi. Elles le sont toujours.
Pour comprendre la profonde différence de la réalité vécue dans ces deux villages, j'ai dû revenir à la manière dont ces endroits et ces communautés ont été réellement créés. Avec quelle vision du futur et sur quel système de croyances et de valeurs ont-ils été conçus ? Quel était l'état de la conscience collective pendant la naissance et l'émergence ? Qui sont ceux qui ont inventé ce mode de fonctionnement et cette culture où la société 'instruite et avancée' a prospéré si rapidement, mais peut-être un peu inutilement ?
Et ce n'est que lorsque j'ai compris l'histoire et l'état des graines qui ont émergé des deux communautés que les choses ont commencé à avoir du sens à nouveau dans ma tête.
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Ma grand-mère qui vivait dans le village où il fallait "se casser le cul pour survivre" était en fait nouvelle sur cette terre et ce sol. Le village entier où ils vivaient était principalement composé de réfugiés venant de Pologne pendant la Seconde Guerre mondiale. Mes grands-parents ont été violemment chassés de leur terre natale en Pologne quand ils étaient dans leur début vingtaine. Ils étaient humiliés, abusés et complètement déboussolés.
Ils ont dû reconstruire une nouvelle vie à partir de rien dans le nouveau village créé en Ukraine pendant la guerre.
Un village créé à cette époque avait une mentalité et des philosophies très différentes sur la manière de gérer une communauté, et quelles étaient leurs priorités de développement pour le futur. Ils n'étaient pas du tout conçus avec le même esprit dans la tête et le cœur que les villages ukrainiens authentiques d'où vient mon autre grand-mère.
Chaque village né de la guerre avait un kolkhoze, qui était une ferme collective gérée par l'État pour nourrir les soldats et le gouvernement.
Le kolkhoze était une sorte d'autorité locale dans le village qui collectait de la nourriture et que les citoyens devaient travailler dans les champs appartenant à l'État gratuitement pour pouvoir y vivre. Les réfugiés pauvres, effrayés et brisés qui venaient d'arriver dans le pays n'avaient pas d'autre choix que d'adopter ces nouvelles conditions et de commencer à travailler dur pour l'État tout en essayant de survivre et de nourrir leur famille pendant une guerre.
Dans leur système de croyances dans ce contexte, travailler dur signifiait survivre.
Ce qui explique maintenant totalement pourquoi ils étaient comme ça. La seule chose est qu'ils sont restés dans ce système de croyances même après la fin de la guerre. Même lorsque l'Union soviétique s'est effondrée et que tous les kolkhozes ont été détruits et abolis, les gens ont continué à croire qu'ils devaient travailler dur et souffrir pour avoir une vie normale et ils ont également continué à croire qu'il était normal de financer les besoins du gouvernement, les stratégies de défense et de nourrir les fonctionnaires et les soldats.
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Maintenant. Que se passait-il à 75 kilomètres de là, dans cet autre village où mon père est né ?
Cet endroit devrait plus justement être appelé Khoutor et non un village.
Un 'khoutor' est une forme d'un village ukrainien authentique où tout le pouvoir appartenait aux habitants eux-mêmes. La souveraineté et la liberté étaient les seules lois dans le système. Ils étaient indépendants et décentralisés. Ils étaient en synarchie complète. Ils ne voyaient aucune valeur dans les fermes collectives ou les institutions plus grandes que leur région géographique. Ils ne voulaient pas travailler la terre d'une manière qui n'avait pas de sens (ou qui était nocive pour le sol et l’eau) juste pour pouvoir nourrir "les autres". Les autres qui vivent en ville et pour une raison quelconque prennent des décisions pour eux et leur bien-être, mais dans un bureau au vingtième étage d'un immeuble stérile d'un centre-ville quelque part où on n’irait jamais.
Ils avaient des écoles et des soins de santé incroyables. Ils avaient des services partagés, des bibliothèques, des imprimeries, des routes et toutes sortes de clubs sociaux. Ils étaient en fait très éduqués, créatifs et très artistiques. C'est une illusion totale de croire qu'ils étaient en quelque sorte moins avancés ou évolués que les gens vivant en ville ou dans les autres villages plus "style soviétique".
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Ils ne travaillaient pour personne d'autre que pour eux-mêmes. Leurs efforts et leurs énergies étaient dirigés pour répondre aux besoins immédiats de leur communauté locale et non pour les hommes complètement déconnectés avec des cravates propres et des biens de consommation coûteux quelque part à Moscou ou Kiev.
Pourquoi laisseraient-ils partir leur vie simple, joyeuse et amusante juste pour nourrir d'autres personnes qu'ils ne connaissent même pas ou avec lesquelles ils ne sont même pas d'accord. Pourquoi investiraient-ils dans toutes sortes de produits chimiques et de technologies pour détruire leur sol, leur terre, leur forêt et leur écosystème naturel ? Pourquoi nourriraient-ils la ville et financeraient-ils ceux qui ont décidé de faire la guerre au lieu de construire une communauté pacifique et cohérente ?
Plus pour ceux qui ont décidé de vivre leur vie ailleurs, dans des endroits où la nourriture ne pousse pas naturellement et sans aucun effort juste à côté de leur table. Mais, pourquoi feraient-ils ça ?
Pourquoi créeraient-ils un kolkhoze d’état, achèteraient-ils des tracteurs polluants et travailleraient-ils volontairement et gratuitement pour nourrir les soldats et les usines qui produisent plus de bombes dans les villes ? Si pour eux le concept de guerre ou même de travail dur n'a littéralement aucun sens.
Ils savaient que si les citadins étaient assez intelligents pour rester connectés à la nature et travailler leurs jardins avec leur cœur plutôt qu'avec leurs mains et leur ego, ils n'auraient pas besoin de quelqu'un d'autre pour les nourrir ou travailler pour eux.
La Terre est totalement capable de répondre à tous nos besoins en termes de nourriture et nous n'avons même pas besoin de travailler dur pour enlever les mauvaises herbes ou brûler des insectes pour que cela se produise.
Tout ce dont nous avons besoin, c'est de maintenir notre connexion avec la Nature. Lui chanter nos chansons d'amour et juste s'amuser à jouer, à co-créer et à co-évoluer ensemble.
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Ce qui se passait dans cet endroit où beaucoup de personnes avec cet état d'esprit vivaient durant la Première et la Seconde Guerre mondiale est fascinant. Comment cette région et leur forêt sont-elles devenues le nid central du mouvement de souveraineté des plus puissants en Ukraine à cette époque ? Tout cela sera peut-être couvert quelque part dans mes écrits futurs. Parce que c'est trop goûteux pour moi de contempler cela. Parce que cela me donne de la clarté sur ce qui se passe maintenant. Même si je n'y vis plus et même si ces deux villages ne ressemblent en rien à ce que je visitais quand j'étais enfant.
Et aussi, parce que l'histoire de mes ancêtres me rappelle profondément l'histoire de la terre sur laquelle je vis maintenant. Un peu partout à vrai dire et même ici au Québec. Je peux voir comment le "village soviétique" est à peu près le même désastre que ce que l'Église catholique a construit avec les personnes déboussolées arrivant de France pour nourrir leurs autorités à l'autre bout du monde. Que le village authentique, le 'khoutor' ressemble beaucoup à ce que les communautés autochtones essaient de nous faire rappeler et expérimenter. Et, de ce qu'ils ont perdu. Ce que nous leur avons si violemment pris et détruit devant leurs yeux.
C'est une sagesse et un processus de co-création très simple et cohérent que nous avons malheureusement tout simplement oubliés. C'est un outil pour guérir la Terre et régénérer la communauté.
Et c'est à peu près le même scénario partout. Des acteurs différents. Un cadre différent. Des époques et des croyances différentes. Des voix, des couleurs et des histoires uniques. Mais les mécanismes du scénario principal sont toujours les mêmes.
…
Mais, attendez. Avant de terminer cela. Qu'est-ce que tout cela a exactement à voir avec le concept de l’entêtement ?
Ha, c'est une bonne chose que vous suiviez toujours. Mais, je ne répondrai pas à cette question maintenant. Je pense que vous avez assez d'idées pour réfléchir vous-même à où se trouve la sagesse d'être têtue aujourd’hui et pourquoi on le ferait.
Quels sont les ‘têtus’ contre lesquels vous vous battez et que vous essayez de détruire ? De vous protéger, de punir les 'coupables' et de les irradier de cette terre sans jamais réaliser que ça va toujours repousser plus fort.
Et quels sont les ‘têtus’ que vous laissez renaître encore et encore ? Quels sont les rêves que vous réalisez et portez si précieusement dans votre cœur depuis toujours ?
Quelles bibites essayez-vous de contrôler sans cesse et à quels jardins chantez-vous votre chanson d'amour ?
Pour qui donnez-vous votre énergie, votre temps et votre terre ? Comment prenez-vous soin de votre sol, de votre humanité et de vos légumes ? Pour qui travaillez-vous si dur ? Pourquoi souffrez-vous autant ?
Pour vous-même et votre communauté locale ou pour des soldats, des hommes en cravate propre, pour des robots et pour des bombes dans une autre partie du monde ?
C'est le questionnement et le choix que chacun d'entre nous probablement aura à faire un jour ou l'autre. Et pour celui-là en particulier, ça va prendre de l'entêtement collectif en tabarnak.
Et, c'est peut-être une très 'bonne' chose au final. Ou pas.
On ne saurait jamais rien sans essayer de le faire pour de vrai.
…
(Petite note pour l'image :
Désolé pour la qualité de l'image, mais j'ai senti le besoin de la partager, car elle capture un moment important de mon enfance. C'est moi à cinq ans jouant avec mes cousins dans notre grand bac à sable à côté de ma Forêt dans le village où vivait l'une de mes grands-mères.
Cet endroit et son atmosphère continuent d'inspirer une grande partie de ce en quoi je crois si obstinément encore.
La liberté, l'espace, la simplicité, l'abondance, la résilience, le plaisir, la connexion avec la nature et la communauté — tous ces éléments dansent ensemble dans un tout cohérent et harmonieux.)
