La Honte à la québécoise...
- Kateryna Derkach
- 30 janv.
- 18 min de lecture
Plus je contemple le concept de la honte au niveau systémique, plus j'en vois des liens directs et évidents entre les enjeux globaux qu'on est en train d'expérimenter aujourd'hui et la honte, comme la première résistance pour y faire face de façon efficace, responsable et cohérente.
Je veux parler en termes systémiques, mais parler de la planète au complet quand on navigue dans la honte est vraiment trop intense. Comme n'importe quel processus, le tout commence par soi. Une fois que tu te maîtrises, tu peux ouvrir ta conscience à ta communauté locale. Une fois que tu es vraiment en paix avec ce qui se passe sur ton propre territoire, tu pourrais t'aventurer à essayer de sauver le monde au complet.
Il faut faire très attention et être vigilant avec les « sauveurs » dépressifs ou narcissiques remplis de honte personnelle qui tentent de gérer des problèmes pour les populations entières. Si eux-mêmes ont trop de honte à l'intérieur avec très peu d'outils pour la gérer, ils vont faire n'importe quoi dans leur travail. Et ils ne vont probablement pas sauver le monde, ils vont se rendre très malades eux-mêmes. Leur honte personnelle va juste grandir pour inclure de plus en plus de monde. Mais ils ne vont toujours pas savoir quoi faire avec. Ça va juste devenir pire.
Si tu regardes très bien, tu vas voir que beaucoup d'activistes, de leaders ou de personnes au service des autres le font à partir de l'espace de la honte et non à partir de la joie. Même si dans leur tête ils sont en train de faire du bien et de se battre pour l'avenir de nos enfants, si c'est avec de la honte qu'ils sont en train de cocréer ce nouveau monde, c'est ce qui va pousser à partir de leurs semences.
Si tu plantes la honte, c'est ce qui va pousser, soit en toi, soit en ceux que tu aimes, soit dans notre système au complet. Et si tu es vraiment aveugle à ta honte, tu peux même arriver à faire les trois en même temps. Tu peux vivre dans l'océan de la honte toute ta vie sans même le réaliser, un peu comme un poisson qui ne connaît rien d'autre que de l'eau polluée.
Si tu veux vivre dans la paix, la santé et la joie, eh bien, il faut apprendre à les semer et les cultiver un peu partout aussi. La guérison personnelle est un processus inévitable et une étape préliminaire à ton évolution future.
Tu peux voir ça comme les échelles logiques de l'éducation systémique. Il y a le primaire, il y a le secondaire et il y a l'université. Imagine que ta capacité de servir le monde s'apprend à l'école de la vie. Au primaire, tu apprends qui tu es comme personne. Tu ne te préoccupes pas de rien d'autre que d'apprendre ta propre maîtrise émotionnelle et la gestion de ton corps physique pour devenir un être mature, autonome et responsable.
Tu ne peux pas aller travailler pour servir les autres véritablement seulement avec le savoir-faire du primaire. Si tu ne connais rien de ta communauté encore, tu ne peux pas être au service des autres de façon sécuritaire sur le plan mental et émotionnel.
C'est pour ça qu'il faut être très « égoïste » quand on commence notre cheminement de transformation personnelle. Il faut bâtir des fondations et des bases solides où l'être peut convenablement maîtriser son propre monde mental et émotionnel avant de se mettre à aider les autres personnes. C'est la base du développement psychologique. Si tu ne te sens pas en sécurité et en paix avec toi-même, tu ne peux pas être une ressource sécuritaire et efficace pour les autres.
Ce serait un peu comme si un alcoolique qui ne sait pas comment gérer sa propre addiction faisait des formations sur comment arrêter de boire au niveau national à la télé. Ça ne ferait aucun sens et ses conseils seraient probablement très questionnables avec peu de pertinence pour nous.
Une fois que tu sais comment te gérer toi-même comme un être entier, intègre et responsable, tu peux aller au niveau secondaire. Là, tu apprends comment ta société et ta culture locale fonctionnent. Tu apprends à être au service véritable de ta famille et de ta communauté immédiate. Tu apprends sur les systèmes que tu expérimentes dans ta réalité quotidienne.
Tu apprends c'est quoi l'empathie et la compassion envers les personnes que tu croises dans la rue. Tu apprends comment te comporter avec le respect, avec l’authenticité d’être et avec l’amour avec tes amis, tes professeurs et tes voisins. Tu t'ouvres le cœur sur ta capacité à ressentir ceux qui t'entourent pour apprendre à les aimer et à les servir avec une joie authentique et le plaisir véritables.
Mettons que tu as fini ton secondaire et que tu es devenu vraiment très bon et expérimenté à faire des changements au niveau de ta communauté locale qui font du sens et pour toi et pour les personnes qui t'entourent (pas juste ton père, ta mère ou ton boss), mais tous ceux avec qui tu interagis et au service de qui tu te mets.
Tu ne maîtrises pas seulement ta propre gestion émotionnelle, mais tu es aussi capable de maîtriser le champ émotionnel avec ses fluctuations naturelles de ta communauté locale. Si tu ne peux pas ressentir avec une vraie bienveillance et un amour inconditionnel les gens qui marchent sur les mêmes rues que toi, tu ne peux pas être au service des peuples étrangers à l’autre bout du monde.
Si tu ne sais pas comment accueillir, accepter et pardonner la honte de ta famille et de ton propre peuple, n'essaie même pas d'être au service de ceux que tu ne connais pas. Tu vas juste empirer la situation et pour toi et pour ceux que tu essaies d'aider.
Mettons que pour servir le monde et l'humanité au complet, tu as besoin d'avoir un doctorat en intelligence émotionnelle. Si tu es encore rempli de honte au niveau personnel, ça veut dire que tu n'as pas encore fini le niveau primaire de ton éducation émotionnellement sécurisante. Ce serait un peu ridicule de te demander de faire face à la souffrance et à la honte au niveau mondial si tu ne sais même pas encore comment te pardonner toi-même ou ta propre famille.
C'est une des causes principales des burnouts, dépressions et autres déséquilibres pas trop le fun. On vit dans un monde où la plupart des personnes n'ont pas encore fini le niveau primaire de leur éducation émotionnelle, mais on leur donne des jobs où ils ont des responsabilités pour des millions de personnes qu'ils ne connaissent même pas et ne connaîtront probablement jamais.
La plupart des employés sur le marché du travail n'ont pas de ressources internes au niveau mental et émotionnel assez développées et matures pour faire le travail qu'ils font pour les autres aujourd'hui.
Ils vivent le stress d'ordre collectif et parfois même planétaire, mais ils n'ont aucune idée comment le gérer dans leur propre système nerveux. C'est dangereux.
C'est comme demander à un enfant du primaire d'être le président du pays. Ça ne fait pas beaucoup de sens, et pourtant au niveau émotionnel, je ne suis pas certaine qu'il y ait beaucoup de présidents qui ont l'éducation adéquate pour les responsabilités qu'ils ont.
Si tu as de la misère avec tes propres démons et que tu ne sais pas quoi faire avec, tu n'es pas au service véritable de personne. Tu dois arrêter de te mentir et prendre le temps de te guérir pour de vrai avant de prétendre aider les autres.
…
Pour ceux qui me lisent depuis un bout le savent déjà, j'écris très rarement pour des personnes qui sont encore au primaire. Les thérapeutes et les psys font ce travail beaucoup mieux que moi. Cherche des ressources qui sont appropriées à ton niveau de développement personnel. Il n'y a aucune honte ou jugement à être au primaire. Tu es beaucoup mieux de passer ta vie au primaire que de te mentir d'être plus loin et de te mettre au service des autres sans avoir fait tes classes de base au préalable.
Donc, si tu apprends encore à gérer ta propre honte personnelle, ce qui va suivre n'est probablement pas des contemplations qui te seraient très utiles ou agréables à contempler trop en profondeur pour l'instant.
Je m'intéresse à la guérison qui va au-delà du personnel. Je m'intéresse à la transformation au niveau des systèmes, des réseaux et des communautés. Aujourd'hui, ça va être une contemplation pour les personnes au niveau secondaire avancé sur le plan émotionnel. On va parler du trauma local et collectif chez nous. On va parler de la honte au niveau ancestral et historique à l'échelle du Québec.
…
Il y a beaucoup de désavantages à être immigrante, mais il y a aussi énormément d'avantages dont très peu parlent. Quand tu es immigrée, tu vois très souvent le pays d'accueil au-delà de leur conditionnement local. Ce qui est complètement normal et même imperceptible pour eux, parce que c'est juste ce qu'ils connaissent depuis toujours, pour toi ça pourrait te sauter aux yeux comme la plus grosse incohérence de la terre.
On dit souvent que les autres nous voient beaucoup mieux qu'on se voit soi-même. Tous les mensonges qu'on se raconte à nous-mêmes sont très souvent d'une évidence flagrante pour ceux qui nous entourent. C'est vrai au niveau personnel et c'est vrai au niveau collectif. Les immigrants voient les ombres des Québécois comme peuple beaucoup mieux que les Québécois peuvent se voir eux-mêmes. C'est normal. C'est la mécanique de base de la conscience.
Si tu demandes à un poisson qui n'est jamais sorti de l'eau si l'eau goûte mieux que l'air, comment pourrait-il te répondre ? Pour savoir la vraie réponse, il faudrait demander à celles et ceux qui ont déjà expérimenté les deux pour de vrai et pleinement. Quand tu goûtes aux deux, très souvent tu réalises qu'il n'y a pas de mieux ou de moins pire. C'est une question de préférence personnelle dans le moment. Ils sont différents, c'est tout. Mais en ayant goûté aux deux, tu peux au moins comparer basé sur l'expérience vécue et la sagesse véritable et non seulement sur ton conditionnement limité de ce que tu as entendu à la télé.
Le Québec est très riche et très créatif en grande partie grâce aux immigrants. Leurs perspectives uniques carburent l'innovation nationale. Les immigrants ont une facilité naturelle à faire face à la honte de leur pays d'accueil, parce qu'elle n'est pas inconsciente pour eux au point qu'elle pourrait l'être pour le peuple local. Au niveau des ombres ancestrales et collectives, ce sont ceux qui ne font pas partie de notre clan immédiat qui nous voient le mieux et le plus clairement.
La diversité culturelle est le premier catalyseur à l'innovation, ça peut aussi être le remède le plus puissant à la résistance au changement et à la guérison au niveau systémique, si approchée sagement et intelligemment.
C'est la psychologie du groupe de base. Chaque ingénieur et créatif apprend ça à l'école. Plus les gens sont différents, plus la créativité et la valeur de leurs projets augmentent. Ça se peut qu'il y ait plus de conflits et de tensions au début, mais leurs créations sont souvent plus innovantes et plus performantes à la fin. Quand tu mets des personnes presque pareilles dans une équipe, ils vont très bien s'entendre et travailler très rapidement, mais leurs créations vont aussi être à l'image et à l'échelle de leur conscience de groupe, assez limitée, conditionné en croyances existantes, et probablement très peu innovante.
La perspective unique d'un immigrant est un outil très performant contre les biais cognitifs dans un groupe ou dans une culture. C'est normal que les gens à l'extérieur de toi voient beaucoup plus clairement ce qui est écrit sur ton front que toi-même, à moins que tu trouves un miroir magique pour voir l'ego national de ton peuple avec la transparence inconditionnelle. Mais je ne te conseille pas de regarder dans ce miroir avant de te voir toi-même avec sincérité, authenticité et compassion.
Donc, la honte au niveau national au Québec, de quoi on parle au juste ?
Aujourd'hui, je vais parler principalement de l'éducation et de la religion, car dans ma perspective personnelle ce sont les deux systèmes clés au niveau local qui sont responsables de la honte toxique au niveau de notre collectivité. Ces deux secteurs d'activités pourraient s'avérer très malsains pour la population locale, mais on n'en parle vraiment pas assez, on ne le réalise même pas potentiellement à quel point c'est flagrant et ça saute aux yeux.
Commençons par l'éducation.
J'ai immigré au Québec à l'âge de 13 ans.
Un des plus grands chocs culturels pour moi, c'était d'aller à l'école ici.
Les enfants ne semblaient pas aimer aller à l'école au Québec et, tout naïvement, je ne comprenais pas pourquoi. Dans ma tête, apprendre était le plus grand plaisir de la vie et tout à fait naturel pour un enfant. Pour plusieurs de mes collègues à l’école, ça devenait une souffrance d'assister à une classe, certains avaient besoin de médicaments, ou de drogues, juste pour pouvoir écouter le prof sans avoir une crise d'anxiété.
C'était très étrange et très perturbant pour moi.
Ça m'a pris plus de 10 ans d'éducation et de 10 ans de réflexion sur mon éducation par la suite pour commencer à comprendre ce qui n'allait pas et pourquoi l'école a l'air si difficile et pénible pour tant d'enfants au Québec.
Le système d'éducation au Québec est basé sur la honte et la peur. À tous les niveaux, commençant par le primaire et c'est pareil jusqu'à l'université. On apprend aux enfants à performer, à compétitionner, à se comparer aux autres et à ne surtout pas écouter leur monde intérieur, leur élans naturels et leurs propres émotions.
L'intimidation est un autre truc. Oui, les enfants sont parfois méchants, ça fait partie de leur apprentissage, mais il faut aussi réaliser que les taux actuels de suicide juvénile à cause de l'intimidation à l'école n'est pas un phénomène normal. Et quand ça touche la santé mentale de toute une génération ou plusieurs, il y a de quoi s'inquiéter pour de vrai.
Ce n'est pas normal qu'un enfant, peu importe son âge, son statut social ou son origine, ait peur ou honte d'aller à l'école pour pouvoir apprendre. Apprendre est un plaisir inné et fait partie du processus normal et naturel dans le cycle de développement sain d’un enfant.
Et selon vous, combien d'enfants au Québec ont accès à une éducation qui n'est pas basée sur la honte ?
Au début, j'étais frustrée contre les profs. Je me disais qu'ils sont juste nuls et méchants ici pour aucune raison. Après un certain temps, j'ai réalisé que la plupart des profs ont eux-mêmes de sérieux problèmes de stress, d'anxiété et de dépression. Donc, je me suis énervée sur les politiciens, les parents et le système au complet. Et là, j'ai réalisé que je parle aux murs.
Personne ne voit l'absurdité de ce qui se passe dans notre système d'éducation. Et les premiers à en souffrir sont nos enfants. Nous tous subissons les conséquences, à vrai dire. Parce que si nos enfants souffrent émotionnellement, toute la communauté souffre. Si nos enfants sont anxieux et suicidaires au primaire, je ne veux pas savoir ce qu'ils vont devenir comme adultes et comment ils vont gérer notre communauté et notre société de demain.
Je veux bien qu'on fasse l'autruche collectivement, mais à un moment donné, il y a une limite quand même à rester ignorant, irresponsable et aveugle.
Mais pourquoi est-ce que notre système d'éducation est si pourri et crée autant de honte et de souffrance chez nos enfants ?
Eh bien, pour avoir un peu plus de clarté, il aurait fallu que j'aille jaser avec nos vieux un peu. J'ai demandé aux baby-boomers et à leurs enfants de me parler de leur expérience à l'école. La grande majorité, voir presque tous, étaient des enfants battus et abusés à l'école. Au Québec, c'était une norme répandue il y a à peine 50 ans de battre les enfants à l'école, d'utiliser la violence physique et l'abus émotionnel comme des stratégies d'éducation nationale.
Mais on ne fait plus ça aujourd'hui, me direz-vous. Vrai, j'espère bien qu'on ne le fait plus. Par contre, les séquelles systémiques de ce vécu portent encore leurs fruits aujourd'hui. Le système de notre éducation est gouverné et mené par des enfants qui ont été battus à l'école. Je ne sais pas combien d’entre eux ont guérie convenablement leur trauma d’enfance avant d’enseigner.
Oui, ils ont tout fait pour que nous, on ne souffre pas comme eux physiquement à l'école, mais ils n'ont pas fait grand-chose pour que notre éducation soit moins violente psychologiquement.
Notre système est imbibé de la honte systémique et des souffrances très collectives de nos parents, de nos grands-parents et de nos ancêtres. On s'est amélioré, mais on n'a pas guéri les vraies racines de nos problèmes actuels.
Pour qu'on puisse créer des écoles qui ont de l'allure et qui sont sécuritaires émotionnellement et mentalement pour nos enfants, il faut qu'on s'assure que les personnes qui travaillent et qui gèrent ces écoles sont elles-mêmes sécuritaires et ont fait leur propre processus de guérison pour transformer leur honte.
Si les profs ont besoin d'antidépresseurs pour juste survivre eux-mêmes dans le monde, tu ne peux pas leur demander de changer le système d'éducation et de rendre tes enfants plus matures et stables émotionnellement parlant !
Ça ne fait aucun sens. Si le prof est rempli de peur et de honte, c'est ça qu'il transmet à tes enfants aussi, que tu le veuilles ou non. Même s'il agit presque normalement, il va exercer un abus émotionnel subtil sur ton enfant sans même le réaliser lui-même.
On est tous interconnectés dans notre champ émotionnel. Les enfants ne font qu'agir et exprimer ce qu'ils ressentent dans l'espace autour d'eux.
Si ton enfant est déprimé, avant de lui donner des antidépresseurs et de lui faire honte, demande-toi vraiment si ce n'est pas l'école qui serait le vrai problème ou la santé mentale de son prof, et non pas ton enfant.
Les enfants sont les plus sains d'esprit dans notre monde. Ils te disent clairement ce qui se passe dans leur cœur et en quoi ce qu'on fait ne fait aucun sens. Mais on ne les écoute jamais. Au lieu de s'inspirer de leurs yeux encore frais et encore pas trop corrompus, on leur impose nos conditionnements très limitants et très souffrants.
Pour une raison quelconque, on dirait qu'on veut voir souffrir nos enfants autant que nous on a souffert. Si pour nous c'était si difficile et douloureux d'être à l'école, on se dit que nos enfants sont encore privilégiés, donc ils n'ont aucune raison de souffrir autant aujourd’hui.
On compare la souffrance de nos propres enfants intérieurs non-guéris à la souffrance qu'on impose aux générations futures. On ne veut pas nous guérir nous-mêmes, mais on pense que nos enfants ne seront pas dans la même merde comme par magie. Mais, ils le sont aussi déjà, ils ressentent et leur souffrance et la tienne, juste très différemment de toi.
Quand tu parles au gens dans la rue aujourd’hui, on dirait que c'est comme si c'était impossible pour nous de même pouvoir s’imaginer le monde ou chaque enfant puisse être heureux et adorer aller à l'école comme une norme sociale.
C'est drôle, quand tu parles aux vieux, ils pensent qu'on est gâtés et pourris dans les générations plus jeunes. Qu'on ne sache pas encore c'est quoi la vraie souffrance, c'est quoi la vraie honte et l'abus éducationnel. Mais quand tu parles aux générations plus jeunes, tu réalises très vite qu'ils ont probablement déjà souffert autant ou plus que leurs parents, juste très différemment.
Leurs enfants ont autant, voire encore plus de honte et de peur qui les habitent, c'est juste qu'ils sont beaucoup plus habiles à le transformer, le cacher et le nier que les vieux.
Quand un enfant n'a jamais vu ou expérimenté lui-même c'est quoi une société saine, prospère et en joie, il peut commencer à croire que le monde basé sur la peur et la honte est la norme de notre existence. Tu ne peux pas demander à un enfant de créer un avenir sans souffrance si tu ne lui montres jamais à quoi ça ressemble et comment ça se ressent à l'intérieur de vivre dans ce genre de monde.
Les fondations de n'importe quelle civilisation, c'est l'éducation. C'est la base des bases. C'est le sol, les semences, l'engrais et tout le reste.
Ta société future va ressembler à ce qui se passe dans tes écoles aujourd'hui. C'est le cycle naturel de l'évolution sociale. Si tu veux vivre dans un monde de paix et d'amour, assure-toi que tu puisses montrer et apprendre à nos enfants au moins c'est quoi au juste la paix et l'amour. Montre au moins à eux c'est quoi vivre dans un monde émotionnellement sécurisant et mentalement mature, au moins à l’école.
Bon, j'avais dit qu'il y a un autre secteur d'activité que j'aimerais discuter, celui de la religion au Québec. Pour les plus perspicaces, vous pouvez certainement déjà voir des liens très évidents entre la honte, la religion et l'éducation.
Le Québec a une particularité spirituelle très unique. C'est un peuple qui s'est fait abuser par l'Église dans des profondeurs que très peu d'immigrants réalisent ou peuvent comprendre. Croire en Dieu au Québec et ailleurs dans le monde n'est pas du tout la même chose. C'est une blessure hyper complexe, une plaie ouverte et encore très souffrante pour la plupart des Québécois.
La religion est un trauma d'ordre collectif au Québec. C'est un sujet sensible en tabarnak et il y a beaucoup de très bonnes raisons historiques pour cela. Il y a présentement une crise politique, culturelle et même spirituelle assez grave sur ces sujets dans notre population. Il y a énormément de racisme systémique, de violence sociale et de conflits religieux complètement inutiles sur les questions des croyances purement intimes.
Le Québec n'est pas contre la religion, ni la spiritualité. Le Québec essaie de guérir son propre passé très sombre spirituellement parlant en mettant des lois qui ne font aucun sens. Il pense que par le jugement et par la politique, ils peuvent rester en déni de ce qui fait encore mal à l'intérieur.
Même si tu mets dehors de la province tout le monde qui n'est pas laïque aujourd'hui, ça ne va pas régler ton trauma ancestral à toi. Tu vas continuer à juger, à en avoir honte et à condamner ta propre souffrance.
Avant de te prononcer sur la justesse et la cohérence des croyances intimes et personnelles des autres peuples, assure-toi de te regarder dans le miroir et de guérir les traumas spirituels de tes propres ancêtres.
On s'en fout de ce en quoi tu crois. Mais si le fait que je ne crois pas à la même chose que toi dans mon monde intérieur te fait chier, te fait peur, te fait honte ou te frustre, c'est toi qui as un problème avec ton propre monde intérieur et ta gestion émotionnelle ou spirituelle, pas moi.
Avant de faire des lois basées sur la peur et la honte sur les croyances privées des autres que tu ne pourrais jamais comprendre, prends une pause, et pose-toi vraiment la question : pourquoi tu les juges au juste?
À partir de quel espace tu es en train de penser et de faire ce que tu fais ?
Est-ce que c'est l'amour et la joie qui te guident sur ton chemin ou c'est ta propre peur et honte ?
Si ce n'est pas la joie et l'amour inconditionnel, s'il te plaît ne prends pas de décisions pour les autres personnes dans ce moment précis. Avant d'agir au service de ta communauté locale, assure-toi que tes propres semences ne sont pas pourries et que tes actions d'aujourd'hui, c'est vraiment ce que tu veux faire pousser dans le monde de demain.
J'ai juste commencé à gratter la surface sur ces sujets. C'est très complexe et très souffrant pour de vrai. Il faut y aller vraiment doucement, tranquillement et avec beaucoup de compassion pour le soi et l’autre. Il faut vouloir apprendre à pardonner des choses impardonnables.
Ça prend un réel effort personnel et une volonté collective pour voir avec la clarté la situation actuelle et pour chercher ensemble une cohérence souhaitable à notre système.
Je n'offre pas de chemins ni de solutions. Je partage tout simplement une perspective différente, qui j'espère pourra en inspirer certains à servir les autres mais sans se brûler eux-mêmes, et sans créer encore plus de honte et de peur intergénérationnelle dans notre système commun pour aucune raison.
Je te montre par où regarder et pourquoi. Mais c'est à toi d'avoir le désir, le courage et la volonté nécessaires pour y voir ton propre reflet ou pas. Et, de savoir comment aligner ton être et ta contribution dans notre monde en conséquence de ce que tu vois dans ces miroirs est ton job à toi aussi.
La décision de la transformation intérieure est ton choix personnel. Ne compte pas sur tes enfants ou les générations futures pour te guérir de tes traumas, s'ils ne savent même pas que ça existe, si toi-même tu es en déni, et s'ils n'ont jamais vu un système social en réelle santé, abondance et paix au niveau communautaire.
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En fin de compte, la honte collective n'est pas une fatalité, mais plutôt un héritage qu'on peut choisir de transformer. Comme société, on est rendu à un carrefour important. D'un côté, on peut continuer à faire semblant que tout va bien, à mettre des pansements sur des plaies profondes, à créer des lois et des structures qui perpétuent nos peurs ancestrales. De l'autre, on peut avoir le courage de regarder notre reflet collectif dans le miroir, d'accueillir nos blessures avec compassion et de commencer un véritable processus de guérison communautaire.
Ce n'est pas facile de faire face à la honte, qu'elle soit personnelle ou collective. C'est comme ouvrir une vieille valise pleine de souvenirs qu'on préférerait oublier. Mais tant qu'on garde cette valise fermée, son contenu continue de nous hanter, de teinter nos décisions, de façonner l'avenir qu'on crée pour nos enfants. La honte non reconnue, c'est comme une racine amère qui continue de nourrir l'arbre de notre société, même si on ne la voit pas.
Le Québec a une richesse unique : sa capacité à se réinventer, à se transformer, à accueillir le changement quand il le faut vraiment. On l'a vu avec la Révolution tranquille, avec tous les mouvements sociaux qui ont façonné notre histoire. Cette même puissance, cette même résilience, on peut la mobiliser aujourd'hui pour faire face à nos ombres collectives. Non pas pour les condamner ou les rejeter, mais pour les intégrer dans une conscience plus large, plus mature, plus compatissante.
La vraie force d'une société ne se mesure pas à sa capacité à cacher ses failles, mais à sa volonté de les regarder en face et d'en faire des sources de sagesse. Chaque fois qu'un Québécois ou une Québécoise choisit de faire face à sa honte personnelle avec courage et bienveillance, c'est un petit pas vers la guérison collective. Chaque fois qu'on choisit l'amour et la compréhension plutôt que le jugement et la peur, on participe à créer un nouveau terreau pour les générations futures.
Le choix nous appartient. On peut continuer à être les gardiens involontaires d'une honte héritée, ou devenir les architectes conscients d'une société qui a fait la paix avec son passé et qui avance vers l'avenir avec confiance et authenticité. La transformation commence par chacun de nous, mais elle ne s'arrête pas là. Elle se propage comme des ondulations à la surface de l'eau, touchant nos familles, nos communautés, notre société tout entière.
C'est peut-être ça, finalement, la plus grande richesse du Québec : non pas notre capacité à cacher nos blessures, mais notre potentiel à les transformer en sagesse collective, en force créatrice, en élan vers un avenir où la honte n'est plus un héritage qu'on transmet, mais une leçon qu'on a su apprendre et transcender ensemble.
