La Guérison Systémique
- Kateryna Derkach
- 6 févr.
- 10 min de lecture
Cela peut paraître un peu contre-intuitif pour certains, mais la façon la plus efficace de régénérer le système au complet est de prendre soin des plus souffrants en premier.
Quand il y a une personne qui souffre beaucoup dans la famille, que ce soit par rapport à sa santé physique ou mentale, ses problèmes d'addiction ou des comportements abusifs à la suite d’événements hors de son contrôle comme la guerre ou un désastre climatique par exemple, toute la famille souffre qu'elle soit en contact direct avec la personne ou non.
Très souvent, celui qui "souffre" le plus n'est pas le plus faible ni le plus cassé, c'est souvent le plus grand hypersensible de la famille. C'est souvent celui qui a hérité du plus gros morceau de la souffrance ancestrale, du trauma de sa lignée. Ou celui qui a tout simplement eu une plus grande ouverture à la ressentir plus profondément et à voir plus clairement la réalité en face de lui.
Beaucoup trop souvent, on juge les personnes hypersensibles comme des malades mentaux. En les voyant comme telles, c'est trop facile de couper les ponts. Si dans ta tête tu te dis que la personne en face est juste folle, tu peux même l'amener à l'hôpital et arrêter de lui parler. Maintenant tu as une bonne excuse si tu penses qu'ils sont fous, tu peux te mettre à distance et tu peux même couper la connexion avec la personne pour ne pas gérer la honte que ça crée en toi.
Mais si tu savais qu'à la base de n'importe quelle maladie mentale il y a une souffrance émotionnelle profonde, mais qui est beaucoup plus facile à gérer que la maladie mentale, ne voudrais-tu pas agir en prévention ?
Pourquoi avant de parler de la santé mentale, on ne parle pas de la santé émotionnelle ? Pourquoi attendre que les gens deviennent fous, si on peut arriver à guérir leur cœur et s'assurer d'un environnement sain pour leur santé émotionnelle à la place ?
Si notre communauté et le système sont émotionnellement sécuritaires pour le peuple, on va prévenir beaucoup de maladies physiques et mentales au niveau systémique.
Si notre système devient de plus en plus émotionnellement violent et immature, on va tous souffrir de plus en plus.
La souffrance est quelque chose qui est partagé. Tu ne peux pas mettre des frontières à la souffrance. Si quelqu'un souffre profondément, toute la famille et toute la communauté vont partager cette souffrance avec eux d'une manière ou d'une autre.
Les personnes qui sont dans le délire de l'hyper-individualisation pensent que le trauma est comme un sac à dos qui t'appartient et que la souffrance que tu ressens est ton problème personnel. Si ton état émotionnel est trop inconfortable pour moi, je peux juste partir pour ne pas sentir l'odeur de merde de ton sac à dos à toi.
Mais ce n'est pas comme ça que le trauma fonctionne. Il n'aime pas trop les sacs à dos et il se fout des frontières et des egos. Il est comme une rivière qui va là où elle veut et comme elle veut. Là où le paysage et le contexte l'amènent.
Celui qui souffre le plus s'est identifié avec la souffrance le plus. C'est celui qui a créé le plus de liens entre la souffrance qu'il ressent avec son corps et son cerveau. Il y a créé des ponts dans sa conscience et son système nerveux entre ses émotions, ses pensées et la réalité physique qui l'entoure.
Très souvent les personnes neurodivergentes ont une hypersensibilité émotionnelle hors norme aussi. Ça va très souvent ensemble. Et la plupart des personnes souffrant de troubles mentaux ont aussi beaucoup des troubles d'ordre émotionnel.
Pour gérer la maladie mentale, tu peux prendre une pilule apparemment. Mais, qu'est-ce que tu dois faire si tu veux gérer ta santé émotionnelle de façon durable et responsable ?
Eh bien tu peux et tu ne peux pas avoir un réel control sur cela. C'est ça le truc avec la santé émotionnelle. Pour avoir une stabilité émotionnelle, tu dois avoir une cohérence entre toi et le système dans lequel tu te trouves. Si tu te guéris et tu deviens émotionnellement plus mature, mais que tous ceux qui sont autour de toi créent exactement les mêmes conditions basées sur l'abus et la souffrance, tu risques d'être très déboussolé et confus.
C'est pour ça que la plupart des personnes qui entreprennent le cheminement de la véritable guérison personnelle un peu plus vite que ceux qui les entourent, risquent de changer de job, d'amis et même de communauté. Si elles ne le font pas, elles peuvent retomber dans les mêmes schémas et grandement souffrir.
Pour que la vraie guérison et le processus de transformation puissent avoir lieu, les deux doivent changer : et l'individu et le contexte ou le système qui est autour de l'individu.
La personne souffrante est comme le spot qui illumine là où le système a besoin de plus d'attention et de régénération en ce moment.
Si on simplifie un peu, on ne va pas parler des systèmes des populations, mais des systèmes familiaux.
Chaque famille a son mouton noir. Celui qui abuse, celui qui demande bien trop d'attention. Celui qui est dépressif ou fou. Celui qui a de la misère à grandir et juste à être en paix avec sa propre existence.
Qu'est-ce que les familles font la plupart du temps avec cette personne un peu trop problématique à leur goût ?
Au début, ils vont probablement essayer de l'aider à souffrir un peu moins. Mais, comme ils vont toujours voir ça comme le problème de la personne en difficulté et non de leur système familial au complet, ça ne va jamais vraiment marcher.
Donc, ils vont commencer à la juger, à lui faire honte et potentiellement même l'abandonner toute seule dans sa souffrance. Ils vont vouloir se protéger en coupant des ponts et en lui suggérant de l'aide professionnelle quelque part pour son manque chronique d'amour.
Si on comprend que la personne qui souffre le plus le fait, la plupart du temps, pour toute la communauté au complet, on trouverait peut-être des stratégies différentes pour l'aider à gérer sa souffrance.
Si on change le système autour de la personne souffrante au lieu de mettre sur son dos personnel la responsabilité pour la guérison de toute la famille, peut-être que ce serait beaucoup plus efficace comme stratégie.
Avec le taux auquel la maladie mentale progresse dans notre société, si on continue de juger et de couper les ressources émotionnelles à tous ceux qui souffrent, on va tous devenir fous très rapidement.
La personne qui a une maladie mentale et qui habite dans la rue, non ce n'est pas de sa faute. Il faut vraiment qu'on sorte cette idée de notre tête que c'est leur propre problème et responsabilité d'être dans cette situation.
Plus ces gens-là souffrent, plus toi aussi tu souffres. Quand tes enfants les voient dormir à côté du métro en hiver, leur cœur émotionnel le ressent. Et par résonance tu le ressens aussi. Que tu le veuilles ou non, notre communauté au complet expérimente, d'une manière ou d'une autre, la souffrance de tous les sans-abris, malades mentaux et même criminels.
C'est le système qui a besoin de régénération et d'un profond changement pour s'assurer que moins de personnes souffrent dans notre communauté sur le plan émotionnel.
Nos environnements de travail et nos services communautaires doivent être émotionnellement et mentalement sécuritaires. Nos politiques et nos gouvernements doivent aussi être sécuritaires.
Quand ton politicien chef dit à chaque prestation la phrase "on va se battre", il y a un criss de problème de gestion qui saute aux yeux. Selon les normes de RH, un leader qui utilise ce langage n'est pas un gestionnaire sécuritaire pour les employés au travail. Alors, quand des leaders de populations entières ne pensent qu'à comment se battre, ne vous étonnez pas pourquoi vous vivez dans une société de fous.
Comme un sage disait : ce n'est pas un signe de bonne santé que d'être bien adapté à une société malade.
Peut-être que ceux qui souffrent le plus nous montrent exactement ce qui a besoin d'être transformé au niveau systémique pour s'assurer qu'on arrête tous de souffrir le plus rapidement possible.
Peut-être que si on guérit les parts les plus malades de nous et de nos systèmes pour de vrai, si on accueille dans l'amour, le pardon et la compassion communautaire celui qui souffre, peut-être que la société entière pourrait apprendre ce qu'est la vie sans souffrance.
Il y a un principe d'interconnexion indestructible dans la conscience. Si tu veux vraiment assurer la vraie paix intérieure qui dure, il faut que tu t'assures que l'humanité au complet a accès à cette qualité de paix intérieure aussi.
Autrement dit, même si tu te coupes de la source de ta souffrance dans le monde physique, si l'espace relationnel entre toi et l'autre n'est pas encore en paix, tu vas continuer à souffrir dans l'invisible pareil.
Si c'est ta mère qui souffre, tu vas clairement le ressentir beaucoup plus fort et beaucoup plus intense que si c'est quelqu'un quelque part sur un autre continent que tu ne connaîtras probablement jamais. Ou, tu peux même ne pas savoir comment ressentir la souffrance de ta propre mère, mais prétendre pouvoir aimer et être là inconditionnellement pour les autres.
Tu peux penser que tu es empathique et sensible parce que tu pleures quand tu regardes la guerre à la télé. Mais, ce n'est pas ça encore la vraie empathie.
La vraie empathie commence à se voir quand tu es capable de l'appliquer avec aisance dans les relations les plus proches de toi. C'est quand tu peux dire avec certitude que tu peux accueillir dans la réelle empathie et ton père et ta mère et tes ancêtres que tu commences à rentrer en contact réel avec l'autre pour pouvoir parler d'empathie.
Ce que tu ressens dans ta tête n'est pas de l'empathie pour ceux qui sont en guerre, c'est de l'empathie envers toi-même et ce que tu as réprimé jusqu'à maintenant, la guerre des autres ne fait que te montrer cet espace en toi.
Tu ne peux pas connaître comment l'empathie véritable fonctionne dans un contexte aussi extrême que la guerre si tu n'as jamais expérimenté ce phénomène dans ta propre vie à toi. Si tu n'as jamais vécu une guerre, tu ne peux pas ressentir la profondeur de la souffrance de celui qui la vit avec une réelle empathie.
Tu penses que si tu les sauves ou si tu les aides à faire la guerre, le ressenti va disparaître. Mais il ne va pas disparaître.
Les larmes que tu as pleurées n'ont rien à voir avec les autres, c'est ta propre souffrance ancestrale liée à la guerre que tu pleures. Ces images ne font que réveiller la douleur de tes ancêtres pour t'inspirer à faire un choix différent aujourd'hui. Un choix différent non pas pour les autres, mais bien pour toi-même. Ce que tu ressens est là pour t'aider à mettre en place un environnement social qui fera en sorte qu'il n'y ait plus de raisons d'avoir des guerres.
C'est une invitation à faire face à ta propre souffrance et non une invitation à promouvoir la violence, la vengeance et l'abus comme stratégie de libération collective.
Celui qui est empathique n'encourage pas la guerre. Celui qui ressent vraiment la souffrance humaine de la guerre ne va pas fournir des bombes aux autres peuples. Peu importe à qui et pourquoi.
Celui qui trouve n'importe quelle excuse pour justifier une guerre a besoin d'aide. Il a un besoin urgent d'amour, de tendresse et de sécurité. Quand quelqu'un brûle, tu ne devrais pas lui envoyer encore plus de carburant dans la face, ça risque de lui faire mal encore plus. Quand quelqu'un brûle, il faut que tu trouves une manière efficace de calmer le feu et de guérir rapidement ce qui a été brûlé.
C'est vrai pour une brûlure et c'est aussi vrai pour une guerre.
Si ta forêt brûle, est-ce que tu vas lui envoyer des bombes pour l'aider à se protéger et pour arrêter le feu ? Ça serait un peu con, non ? Alors pourquoi tu les envoies aux peuples qui sont en feu ? Comment ça fait du sens dans ta tête ?
Apprends à gérer le feu en toi. Après, fais des petits feux contrôlés avec ta communauté pour te pratiquer et pour comprendre comme du monde comment ça marche, et après tu pourras peut-être te mêler des feux un peu plus intenses et collectifs des autres.
Ce voyage vers la guérison systémique n'est pas un chemin linéaire. C'est une danse subtile entre l'individuel et le collectif, entre la blessure et la guérison, entre le passé et l'avenir. Chaque pas que nous faisons vers notre propre guérison crée une onde de transformation qui touche bien au-delà de nous-mêmes.
La vraie révolution commence dans ces petits moments de conscience, quand nous choisissons de voir la souffrance de ceux qui nous entourent non pas comme un ennemi à combattre, mais comme un messager qui nous guide vers une compréhension plus profonde de notre humanité partagée. Chaque fois que nous tendons la main vers quelqu'un qui souffre, nous tissons un fil de plus dans la toile de la guérison collective.
Imagine un monde où la sensibilité n'est plus vue comme une faiblesse, mais comme un super-pouvoir. Un monde où nos systèmes sont conçus non pas pour masquer la douleur, mais pour la transformer en sagesse collective. Ce monde n'est pas une utopie lointaine - il commence à naître chaque fois que nous choisissons la compassion plutôt que le jugement, la compréhension plutôt que le rejet.
La guérison systémique nous invite à une nouvelle façon d'être ensemble. Elle nous rappelle que nous ne sommes pas des îles isolées, mais des parties interconnectées d'un même océan de conscience. Dans cet océan, chaque vague de guérison personnelle contribue à élever le niveau de tous. C'est peut-être là que réside notre plus grand potentiel en tant qu'humanité : dans notre capacité à transformer nos blessures collectives en sources de sagesse et de renouveau.
Si tu ne vois même pas les vagues que toi-même tu crées dans ce monde, comment peux-tu comprendre la nature ou l'essence des ouragans émotionnels des autres ?
Alors, la prochaine fois que tu rencontres quelqu'un qui porte le fardeau de la souffrance collective, souviens-toi : ce n'est pas juste leur histoire que tu entends, c'est un chapitre de notre histoire commune qui demande à être reconnu, accueilli et transformé. C’est une opportunité de guérison pour toi aussi. Car c'est ensemble, dans cette danse de la guérison collective, que nous apprenons à créer un monde où la souffrance n'est plus un mur qui nous sépare, mais un pont qui nous relie pour nous aider à guérir en profondeur ensemble.
La souffrance est notre problème collectif et non pas la malchance personnelle ou le job de certains. Plus vite on comprend ça, plus vite on peut régénérer et notre santé et notre système.
